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INTRODUCTION À LA SORCIÈRE
Par Jacques TCHAMKERTEN
L’opéra français au tournant des XIX et XXe siècles est dominé de Jules Massenet, dont les nombreux ouvrages font alors les beaux jours des théâtres lyriques du monde entier.
A l’exception de Gustave Charpentier et de sa célèbre Louise, aucun de ses successeurs – Alfred Bruneau, Xavier Leroux, Charles Levadé - ne passera à la postérité, même si leurs œuvres figurent au programmes des théâtres lyriques français jusque dans les années cinquante.
Parmi ces musiciens, Camille Erlanger (1863-1919), est sans doute l’un des plus marquants. Né et mort à Paris, il y fréquente le Conservatoire et se forme auprès de Léo Delibes. En 1888, il remporte, devant Paul Dukas, le premier grand prix de Rome, cette récompense qui couronne annuellement de jeunes artistes et leur ouvre les portes de la villa Médicis pour des séjours de quatre ans.
Erlanger y élabore une vaste légende dramatique, Saint Julien l’Hospitalier, qui révèle ses qualités de compositeur dramatique. Marqué à la fois par Berlioz, Wagner et Massenet, son langage harmonique n’hésite pas devant des audaces parfois surprenantes qui peuvent mener brièvement aux frontières de la tonalité. Remarquable orchestrateur, il possède un don inné pour le décor sonore et sait créer un climat, une atmosphère en quelques mesures. Moins à l’aise avec l’expression mélodique, il étaie ses compositions par un complexe et dense réseau de motifs conducteurs qui peut expliquer un certain manque de naturel et de spontanéité qui ont souvent été reprochés à sa musique.
À l’exception de plusieurs recueils de mélodies et de quelques partitions symphoniques, Camille Erlanger ne composa que pour le théâtre lyrique. Les sujets d’inspiration de ses ouvrages sont très divers : drames historique (Kermaria, 1897, La Sorcière, 1912), naturalistes (Le Juif polonais (1900) son œuvre la plus fréquemment donnée, L’Aube rouge, 1911), antiques (Le Fils de l’Étoile, 1904, Aphrodite, 1905). Cependant, le phénomène religieux se situe au centre de plusieurs de ses partitions majeures, généralement associé à des phénomènes paranormaux tels qu’apparitions, dédoublement de la personnalité, magie ou sorcellerie. C’est le cas de La Sorcière, d’après un drame de Victorien Sardou, dont l’action tragique et violente située aux temps de l’inquisition, dépeint l’église sous un jour terrifiant.
La postérité s’est montrée ingrate envers l’œuvre de Camille Erlanger, au point qu’aucune de ses œuvres n’a été exécutée depuis probablement bien plus de cinquante ans.
Il est temps de redécouvrir les qualités et les singularités de son art auquel le compositeur Fernand Le Borne a rendu le plus pertinent des hommages : « Je ne connais personne dans sa génération qui ait été capable de situer comme lui une action, d’en peindre plus exactement le paysage, les parfums, les épisodes, les côtés dramatiques. Il lui suffisait d’un dessin d’orchestre, d’un motif, d’une harmonie pour nous donner le frisson de l’horreur, de l’épouvante, de l’effroi, ou pour nous transporter en pleine extase, dans des moments de charme, de tendresse, de volupté, d’amour… »
Jacques TCHAMKERTEN
LE PROJET
En novembre 2017 eut lieu à l’Opéra des Nations à Genève un événement culturel au retentissement mondial : la création d’Ascanio, opéra en cinq actes de Camille Saint-Saëns.
“Tourniaire conducts with terrific elan and commitment while his orchestra, a formidable student ensemble from Geneva’s Haute École de Musique, play as if their lives depend on it. The choral singing is spine-tinglingly good, the soloist consistently superb. I admit to be swept away by the whole thing. It’s a major achievement and highly recommended”.
Gramophone Magazine (UK) : Editor’s Choice.
Suite à l’immense succès que rencontra cette première, l’association Ascanio souhaite à présent porter en scène un autre chef d’oeuvre oublié du répertoire lyrique : La Sorcière de Camille Erlanger.
Eu égard à l’intérêt musical et pédagogique porté par un tel projet, et souhaitant renouveler une expérience qui fit honneur au travail accompli par ses étudiants, la Haute École de Musique de Genève a souhaité s’associer à cette nouvelle aventure.
Partition de La Sorcière, édition de 1913.
Camille Erlanger photographié
par Nadar vers 1895.
ORIGINALITÉ :
Qui ne connaît pas la musique de L’Apprenti Sorcier écrite par Paul Dukas et rendue mondialement célèbre par Walt Disney ?
En revanche, qui pourrait citer le nom du compositeur qui ravit à ce même Paul Dukas le 1er Prix du Concours de Rome en 1888 avec sa cantate Velléda ?
Pourtant, Camille Erlanger (1863-1919) fut l’un des compositeurs d’opéras les plus joués à Paris au début du XXe siècle. Cette résurrection de La Sorcière permettra non seulement de sortir de l’oubli un joyau de l’opéra post-romantique français, mais aussi d’en révéler le compositeur.
ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES SUR CAMILLE ERLANGER :
Né à Paris en 1863 dans une famille juive d’origine alsacienne, il étudie dès 1886 au Conservatoire de Paris avec Léo Delibes et remporte en 1888 le 1er Prix du concours de Rome.
Ayant écrit essentiellement des oeuvres vocales, son catalogue contient douze opéras créés pour la plupart à Paris.
Parmi ceux-ci, Aphrodite (1906), opéra en cinq actes d’après le roman de son ami Pierre Louÿs, fut joué 182 fois à l’Opéra Comique. Quant au Juif Polonais créé également à l’Opéra Comique en 1900, il connut à cette même époque plusieurs reprises dont une production dirigée en 1906 par Gustav Mahler à l’Opéra de Vienne.
Prédisant à Camille Erlanger un avenir semblable à celui de Giacomo Puccini, le célèbre éditeur Tito Ricordi publia en 1918 son Rêve lyrique Hannele Mattern. Cependant, Camille Erlanger s’éteignit en 1919 sans avoir entendu sa dernière œuvre.
Il n’existe aucun enregistrement de ses oeuvres, à l’exception d’une archive de La Légende de Saint-Julien l’Hospitalier.
Camille Erlanger se maria en 1902 avec Irène Hillel-Manoach (1878-1920) appartenant à la famille Camondo.
PUBLICATIONS :
Comme ce fut le cas lors de la création d’Ascanio de Saint-Saëns, une nouvelle édition complète de l’opéra sera publiée.
ENREGISTREMENT DISCOGRAPHIQUE :
Une captation "Live" de cette première fera ensuite l’objet d’une parution discographique.
PRÉSENTATION DE LA SORCIÈRE
ARGUMENT :
L’action se passe à Tolède en 1503, sous l’Inquisition.
Don Enrique Palacios, chef des archers de la Ville, et Zoraya, une belle Mauresque injustement accusée de sorcellerie, tombent follement amoureux l’un de l’autre. Malgré les mortels dangers pesant sur un tel amour, les deux amants continuent à s’aimer en secret. Promis depuis son enfance à un mariage de convenance avec la fille du Gouverneur, Don Enrique est surveillé par la police du Saint Office. Il est bientôt arrêté et Zoraya traduite devant le tribunal de l’Inquisition.
Pour sauver son amant, Zoraya finit par se sacrifier, en avouant – à tort et sous la contrainte - au diabolique Cardinal Ximénès avoir ensorcelé Don Enrique. Condamnée à être brûlée, Zoraya est déjà sur le bûcher lorsqu’elle voit arriver son amant. Ils s’embrassent une ultime fois avant de mourir ensemble...
Victorien Sardou écrivit quatre pièces de théâtre spécialement pour Sarah Bernhardt, dont trois - Fédora (1882), La Tosca (1897) et La Sorcière (1903) - devinrent à leur tour des livrets d’opéras célèbres.
La Sorcière, opéra en quatre actes et cinq tableaux de Camille Erlanger fut créée en 1912 à l’Opéra Comique. Rencontrant un très grand succès, elle y connut 80 représentations.
Distribution de La Sorcière, avec la signature manuscrite du compositeur et sa dédicace : « À Monsieur Desair, l'excellent créateur de Ximénès à Gand, avec toute ma reconnaissance et mon admiration.
Camille Erlanger, le 11 Avril 1913 ».
ESTHÉTIQUE :
Camille Erlanger eut un sens particulièrement aigu du théâtre, et tous ses opéras furent unanimement loués pour leurs saisissantes qualités dramatiques. Très fortement influencé par la sensualité de la musique de Jules Massenet (qu’on accusait désormais de sentimentalisme !) comme par l’usage des leitmotivs si chers à Richard Wagner (sujet épineux par excellence à Paris !), son esthétique s’éloigna de l’école impressionniste française d’alors (oh sacrilège !), pour flirter avec le vérisme de Giacomo Puccini. En ce tragique début de XXe siècle, où nationalisme et antisémitisme exaspéraient les tensions, on peut imaginer aisément les raisons pour lesquelles Camille Erlanger fut oublié dès sa disparition en 1919.
DISTRIBUTION :
Tous les opéras de Camille Erlanger ont la particularité d’avoir une distribution considérable. Ainsi, celle de La Sorcière nécessite 24 solistes, deux rôles parlés et un choeur dont l’effectif varie au cours de l’opéra.
Comme c’est presque toujours le cas chez Massenet et Puccini, le rôle principal est dévolu à une chanteuse de très grand talent. Celui de Zoraya est aussi somptueux que titanesque. Il fut écrit pour Marthe Chenal, qui était alors l’une des plus grandes Tosca de son époque.
L’autre grand rôle, celui de Don Enrique est dévolu à un ténor, tandis que celui du cruel inquisiteur Ximénès revient à un baryton-basse… Une fois encore nous ne sommes pas loin de la distribution de Tosca (Mario Cavaradossi ténor et Scarpia baryton-basse) et la scène du tribunal de l’inquisition (4e acte de La Sorcière) comporte bien des similitudes avec celle de l’interrogatoire au Palais Farnèse (2e acte de Tosca).
Les photos des répétitions
(cliquez sur les images pour les agrandire)
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